Le sport : terrain de jeu de la criminalité. Quelle responsabilité de l’Etat ?
Depuis quelques mois, on voit se multiplier les scandales dans le monde du sport. Jusque récemment confinés à la base du mouvement sportif (joueurs, clubs, ...), ils atteignent aujourd’hui les hautes sphères de la gouvernance de grandes instances sportives.
Médéric CHAPITAUX, fonctionnaire du ministère en charge des sports, aujourd’hui en disponibilité, et auditeur de l’INHESJ, nous dresse dans son livre Le Sport, une faille dans la sécurité de l’État un portrait alarmant d’un sport livré à lui-même et en proie aux plus grandes prédations. Attention, ceci n’est pas de la science fiction.
Comment expliquer les scandales à répétitions dans le monde du sport ? Faut-il y voir une simple coïncidence ou la démonstration d'une réelle fragilité au niveau de ses instances ?
Depuis de nombreuses années le mode de gouvernance du sport est remis en question, discuté sans jamais avoir été réellement modifié.
La professionnalisation, les financements et l’hypermédiatisation liés au sport ont conduit à fragiliser un dispositif structurel au fonctionnement opaque et vieillissant.
Donc pour répondre à votre question, la récurrence des affaires et sa propagation aux plus hautes sphères exclue à mon sens toute possibilité de coïncidence.
Il est temps de se rendre à l’évidence : le sport est un domaine qui suscite les convoitises et facilite les prédations. Aucune fédération n’est aujourd’hui à l’abris d’y succomber.
Le développement de la criminalité multiforme accentue aujourd’hui le risque de bouleversement de l’establishment sportif fédéral.
À quelle criminalité multiforme pensez-vous ?
Quand je parle de menaces multiformes, cela signifie que tout le panel criminel est attiré par le sport, de la criminalité en col blanc jusqu’au terrorisme en passant par le racket, le trafic d’influence et l’extorsion de fonds.
L’affaire Benzema, les opérations de transfert de joueur qui brillent par leur opacité financière, le E-sport qui suscite déjà des suspicions de blanchiment d’argent, les manifestations sportives qui sont devenues la cible récurrente d’attentats terroristes, … tous ces exemples illustrent parfaitement les différentes formes de criminalité gravitant autour du sport.
Avec pour cible aussi bien le pratiquant amateur que le président de fédération internationale.
En quoi le sport est-il une cible privilégiée pour cette criminalité ?
Il règne au sein du monde sportif une inculture de la sécurité qui expose particulièrement ses acteurs.
Prenons l’exemple de la radicalisation dans le sport, elle n’est pas apparue du jour au lendemain. Par manque de culture en sécurité, le sport a été spectateur de ce phénomène : il l’a vu évoluer sans se saisir de la problématique, sans l’enrayer. Et nous sommes aujourd’hui dépassés.
Cette inculture sécuritaire, liée à une forme d’impunité sportive, favorise les prédations évoquées précédemment d’où les scandales à répétitions de ces derniers temps. Un sport comme le tennis a longtemps été épargné par ce type de soupçons alors qu’en quelques semaines, le président est accusé de conflit d’intérêt, on en parle comme le sport européen le plus touché par les matchs truqués … tout le système vacille.
Dans votre livre Le Sport : une faille dans la sécurité de l’Etat, vous évoquez des pistes que l’Etat pourrait explorer pour éviter cette mise en danger du sport. Mais est-ce vraiment à l’Etat de prendre les mesures nécessaires et, si oui, lesquelles ?
Le sport est un service public au même titre que les transports par exemple. A ce titre, le ministère délègue aux fédérations sportives le développement du sport sur le territoire et leur verse en contrepartie de l'argent public, c’est la délégation de service public. Agissant dans le cadre des missions qui leur sont confiées par l’Etat, les fédérations en sont le prolongement. Elles représentent la France dans les événements internationaux mais aussi au quotidien au travers des actions qu’elles mènent et sur la base desquelles elles sont, comme toute administration, évaluées. Une faille dans le sport (avec l’infiltration d’une criminalité) met à mal tout le dispositif d’Etat qui en découle.
L’implication de l’Etat est d’autant plus nécessaire et urgente que ces structures fédérales bénéficient de perfusion d’argent public de manière récurrente avec des taux de dépendance pouvant aller jusqu’à 95%, (ce qui signifie bien que 95% du budget fédéral découle de financement public (argent et personnels)).
J’ai vu les dérives qui pouvaient en découler et c’est pourquoi je tire la sonnette d’alarme. Si on ne veut pas que le sport devienne le terrain de jeu de la criminalité, il faut se saisir de la question au plus vite. Dans un récent article, le ministre concédait avoir sous-estimé par exemple le phénomène de radicalisation qui existait dans le monde du sport. Il ne s’agit pas de faire des généralités, mais de tels problèmes existent et ne sont qu’aux prémices de ce qu’ils pourraient devenir. Il existe des pistes réflexives qui devraient être envisagées avant qu’un nouveau scandale, de plus grande ampleur et aux conséquences plus importantes, n’éclate. Le sport doit être protégé et c’est le devoir de l’Etat de le faire.
Comment alors protéger le sport ?
Protéger le sport, c’est d’abord avoir conscience qu’il est en danger. Fermer les yeux sur des constats que personne ne conteste ou chercher à les minimiser, c’est conduire le sport droit dans le mur et mettre en danger ses usagers.
Pour ce qui est des solutions, il faut reconnaitre que la problématique n’est pas simple, mais cela ne doit pas décourager les défenseurs du sport. Car, en réalité, de nombreuses actions sont envisageables, en passant par exemple par une simplification de la règlementation afin qu’elle puisse réellement être mise en œuvre, par une vérification des casiers judiciaires systématiques pour les bénévoles et les professionnels, par une fusion des fédérations pour les consolider financièrement et donc structurellement etc…
« 9 chantiers de l’Olympe » que vous pourrez retrouver dans le livre Le Sport, une faille dans la sécurité de l’Etat publié aux éditions Enrick B.